Loi de finances 2018 (Article 13) : Exonération de l’impôt pour les entreprises nouvellement créées
17 décembre 2017Certification ISO 9001 version 2015
8 mai 2018La réglementation des changes est un sujet tabou en Tunisie. Tous les opérateurs économiques s’en plaignent sans oser le crier tout haut de peur d’être dans le collimateur du régulateur, la Banque centrale de Tunisie. Le fait que la loi soit archaïque et non adaptée à la situation actuelle est un secret de polichinelle. Bien que conscients de cet état de fait, le gouvernement et la Banque centrale essayent de maintenir cette situation, contre vents et marées, désarmés face à la crise que traverse le pays avec la baisse de nos avoirs en devises. Les entreprises tunisiennes devront entre temps souffrir en silence, en espérant que le vent tourne. Focus sur un sujet qui fâche !
Bravant les interdits et vu l’importance du sujet, Tunisia Africa Business Council (TABC) y a consacré un panel, la semaine dernière, lors de la première édition du FITA 2018 « Financing Investment & Trade in Africa », qui s’est tenue les 6 et 7 février 2018. Une rencontre qui a réuni la directrice des opérations en capital à la Banque centrale de Tunisie, Raoudha Boukadida, ainsi que plusieurs banquiers de la place notamment Ahmed El Karm, président de son directoire de l’Amen Bank, Samir Saied, directeur général de Société Tunisienne de Banque (STB) et Elyes Ben Rayana, responsable BFI à la Banque internationale arabe de Tunisie (BIAT).
Dans leurs différents témoignages à Business News, des opérateurs économiques agissant à l’international se sont plaints à multiples reprises des lenteurs des procédures et de leurs complexités, dans le cadre de leurs opérations d’export ou d’investissement à l’international : une lenteur administrative qui leur a coûté des pénalités ou carrément des marchés. Or, la donne a totalement changé depuis la mise en place de cette loi, avec internet tout se fait en un clin d’œil et les marchés n’attendent pas, si on ne respecte pas ses engagements on a est rayé de la liste et un nouveau venu prend la place. C’est la loi du marché et de la concurrence.
Donc, si la Tunisie veut se positionner à l’export, aucun retard n’est admis. Les problématiques liées à la réglementation des changes, au financement ou aux autres facteurs doivent êtres réglés au plus vite, car la concurrence est là, elle est aux aguets, prête à prendre la relève.
Mme Boukadida a indiqué que le transfert de fonds à titre d’investissement des entreprises résidentes en Afrique pour la période 1994-2017, sur autorisation de la Banque Centrale de Tunisie, représentant 60% du total général des transferts effectués à ce titre, un montant qui avoisine les 460 MD. Hormis les pays de l’UMA et l’Egypte. Cette proportion ne serait que de 15% et la majorité de ces flux soit 77% a été transférée au cours des deux dernières années 2016 et 2017, principalement vers la Côte d’ivoire, destination privilégiée des investissements tunisiens à l’étranger.
Que prévoit actuellement cette réglementation
La directrice des opérations en capital à la Banque centrale de Tunisie a précisé que les entreprises résidentes exportatrices ont le droit annuel à transférer à titre d’Investissement à l’étranger leurs chiffres d’affaires à l’exportation. Ceci au titre de l’année qui précède l’année d’investissement jusqu’à 1 million de dinars (MD) par achat de devises, soit le débit des Comptes professionnels en devises (CPD), jusqu’à concurrence de 3 MD par an à imputer sur leurs recettes d’exportation. Le cumul des deux modalités n’étant pas possible.
Les entreprises résidentes non exportatrices ont le droit, quant à elles, à un transfert annuel à titre d’investissement à l’étranger équivalent à leurs chiffres d’affaires déclarés à l’Administration fiscale, au titre de l’année qui précède l’année d’investissement, jusqu’à 500.000 dinars par an par achat de devises. Les transferts au titre de financement de ces investissements doivent se faire sur les fonds propres des sociétés promotrices.
Le hic, c’est qu’en 12 mois, le dinar a glissé de 18%. Donc, lorsque ces montants sont convertis, ils deviennent dérisoires ! Pire, les entreprises tunisiennes sont très entravées, vu que la réglementation ne couvre pas les charges, les frais de séjours ou de prestataires de services ainsi que les frais de prospections de nouveaux marchés ou d’étude de marché.
Appel pour une nouvelle philosophie pour la réglementation des changes
Le panel de banquiers, qu’a réuni TABC, a été unanime et sans appel : la réglementation des changes ne remplit plus le rôle pour lequel elle a été créée, notamment éviter la fuite des capitaux et mettre fin au développement du marché parallèle.
Elyes Ben Rayana a souligné que lors de sa création, la réglementation des changes répondait à des enjeux de protection de l’économie et de développement de l’export. Il estime, cependant, que le contexte a changé et qu’on a besoin d’une nouvelle philosophie pour la réglementation des changes. Avec l’ouverture à l’international, la Tunisie doit être non seulement attractive pour attirer les capitaux mais être capable de financer ses sociétés à l’international, pour l’export ou l’investissement. Il a appelé, dans ce cadre, à la hausse du plafond des transferts par le débit des Comptes professionnels en devises, la prise en considération des frais de séjours et la mise en place des mécanismes de financement des PME/PMI.
«La réglementation des changes doit être claire et répondre aux enjeux. On ne peut pas bloquer tout sous prétexte d’empêcher la fraude, car le temps est facteur important et déterminant. Il faut faire confiance aux opérateurs tunisiens et sanctionner les fraudeurs», a-t-il déclaré.
Ahmed El Karm a estimé, quant à lui, que cet instrument a échoué lamentablement et devenu une tracasserie du marché formel ou un argument pour ne pas investir dans le pays. Il a évoqué, dans ce cadre, les nouveautés qui n’obéissent pas au contrôle de change comme la monnaie cryptée, le payement électronique ou le mobile payment. Pour lui, il est impératif d’aller vers une perspective d’assouplissement.
M. El Karm va encore plus loin, en invitant le gouvernement à oser supprimer le contrôle de change, estimant que les effets de cette décision seront largement positifs. Il a rappelé qu’en 1992, lorsqu’on avait décidé d’instaurer la convertibilité courante du dinar instituée en Tunisie, l’objectif était de généraliser, dans la fouler, la convertibilité dans un délai ne dépassant pas les deux ans. Il a demandé qu’on supprime toute les entraves avant et après réalisation des marchés, en tenant compte de la réalité des entreprises tunisiennes qui ne peuvent plus respectées critères de la BCT en termes de fiscalité, de CNSS et de fonds propres.
«Je réitère ma demande d’assouplir les choses en faisant un saut législatif : osez, faites confiance aux Tunisiens, ils vont vous surprendre», a-t-il affirmé.
Considérant que ses propos vont choquer plus d’un, il a essayé de les tempérer : «Rédiger un Code de change en une demi-page et 2 articles. Le premier article déterminerait les interdits (l’interdiction d’achat de résidence à l’étranger, de la spéculation dans les bourses étrangères, d’ouverture de comptes en devise à l’étranger). L’article 2 stipulera que toute opération non citée dans l’article 1 est libre de toute contrainte», a-t-il proposé.
Partageant l’idée du président du directoire de l’Amen Bank, M. Saied a appelé à se libérer des codes écrits, à la française et de suivre l’école anglo-saxonne, qui au lieu de se perdre dans des articles complexes, liste les interdits, sans équivoque.
Il a évoqué l’expérience réussie de la STB au Niger, avec la Sonibank qui détient actuellement 23% de part de marché. A sa création la participation en 1990 de la STB était de 1 milliard de francs CFA, actuellement elle est de 12 milliards FCFA. La banque détient 25% du capital de la Sonibank.
«Nous n’avons pas d’autre choix, notre survie passe par l’export qui est la solution et non le problème», a-t-il martelé. Pour lui, les banques commerciales tunisiennes doivent se regrouper avant de partir à la conquête de l’Afrique et non pas se concurrencer.
Faiza Feki, ancienne directrice générale des opérations de change à la BCT, présente lors du panel, s’est indignée de la proposition de Ahmed El Karm de supprimer la réglementation des changes.
«Est-ce qu’il a un pays dont la monnaie qui n’est pas convertible et qui supprime la réglementation des changes», s’est-elle interrogée. Et d’ajouter : «Pourquoi notre monnaie n’est pas convertible ? Car nos fondamentaux ne le permettent pas !». A ceci M. El Karm a rétorqué : «Est-ce que nous avons un contrôle de change efficace ? Est-ce qu’il est en train de nous faire gagner de la croissance». Pour lui, la Tunisie sera bridée avec son contrôle de change et ne pourra pas profiter aux grands groupements africains, dont les procédures d’adhésion sont en cours.
Vers un assouplissement de la réglementation de change
Consciente des difficultés des entreprises tunisiennes, la BCT est en train de mettre en place des mesures qui visent à assouplir la contrainte de change qui pèse sur les transferts courants mais également sur ceux ayant des opérations financières et en capital avec l’étranger, a noté Raoudha Boukadida. Elle a affirmé que les transferts à titre d’investissement à l’étranger auront leur part dans les réformes à engager et un texte y afférent devrait être publié, sous peu, par la BCT, à l’image de ce qui a été déjà fait au début de l’année 2017 et fin 2016.
Autre annonce importante, dans le cadre du soutien des filiales de sociétés résidentes implantées à l’étranger, les garanties en couverture des crédits de gestion accordés par les banques étrangères en faveur des dites filiales feront l’objet d’une libéralisation.
En outre, Mme Boukadida a évoqué une nouvelle approche en matière de transferts à titre d’investissement à l’étranger où ce droit sera l’apanage des entreprises remplissant des critères. Ceci tiendra en compte notamment l’exercice préalable de l’activité pendant un certain nombre d’années en Tunisie; de la transparence, la solidité/performance financière, l’assiduité à l’égard de l’Administration fiscale et la réglementation des changes en vigueur.
Pour ces entreprises a-t-elle expliqué, le cadre réglementaire devra tenir compte de l’effet d’entrainement sur l’économie nationale (l’activité de la filiale à l’étranger doit être en rapport avec celle de l’entreprise résidente). Les transferts à effectuer seront fixés par rapport à une autre référence que le chiffre d’affaires. Ils seraient une fraction des Fonds Propres avec la possibilité de prévoir un transfert supplémentaire pour les sociétés exportatrices par le biais des disponibilités des comptes professionnels. Toutefois, les entreprises concernées devront communiquer périodiquement des informations pour le suivi de ces implantations.
Des réformes structurelles sont nécessaires pour faire avancer la Tunisie et la réglementation des changes en est une. On ne peut pas demander à nos sociétés d’exporter et d’investir, sans le support de l’Etat, alors que d’autres le font, en plus en mettant autant de bâtons dans les roues.
Nos entreprises ont prouvé qu’elles sont capables de s’imposer sur des marchés hyper difficiles et techniques, mais sans financement et sans assouplissement de la réglementation des changes, tout ce que fera l’Etat pour encourager les entreprises tunisiennes et les exportations sera vain !
par : Imen NOUIRA